jolis petits souvenirs

Quand on arrivait chez nos grands-parents, on grimpait quatre à quatre les marches du  perron. Dans le hall, ça sentait le propre et l'encaustique. On montait en courant les marches recouvertes de moquette, laissant traîner une main sur les mûrs en faux marbre pour ne pas perdre l'équilibre. Le premier arrivé avait le privilège de tirer la sonnette en laiton. On entendait alors le parquet craquer et la porte s'entrouvrir. Elle était toujours heureuse de nous voir arriver, et laissait l'ouragan entrer dans l'appartement. Nous sortions des lourds tiroirs de la commode tous les vieux jouets de la génération précédente. Une dînette, un chat sur roulettes, un Pollux poilu, des poupées d'un autre âge, un singe qui bat des cymbales, une épicerie avec ses boîtes de pâtes La Lune, une visionneuse et ses stéréocartes à introduire dans le sens de la flèche (ah, les paysages de la côte basque !). Un voyage dans le temps qui nous amusait beaucoup. 

Nous dévalisions le placard de tous ses paquets de gâteaux et nous buvions à grandes gorgées de la grenadine dans des verres à moutarde. Dans le buffet, il y avait une boîte en métal contenant des gommes à l'eucalyptus, et plus tard des pastilles Vichy. Nous aimions jouer sous la table, déplier le tabouret-escabeau pour se laver les mains, renifler l'odeur du tabac pour la pipe, jouer au Nain jaune, essayer les chaussons de notre grand-mère, prendre un bain dans la baignoire-sabot, humer le parfum de la laque Elnett et du déodorant Mennen vert ("pour nous les hommes"), et regarder notre grand-père se badigeonner de mousse à raser avec un blaireau.

Le soir, couchés dans nos draps épais (l'un de nous sur un lit de camp), nous avions droit à de gros baisers "bonne nuit ma reinette" et une petite prière. Nous nous endormions en écoutant le lointain bruit de la rue, et guettant les pas rassurants dans le couloir.

Nous prenions le petit-déjeuner sur des plateaux en métal ornés de la recette de la fondue savoyarde. Je trouvais cela un peu incongru, mais le chocolat chaud dans les bols en pyrex n'en était pas moins bon. Nous nous préparions à descendre au garage sortir nos vélos, et la fine équipe partait pour le bois de Vincennes où nous avions nos habitudes, et dont nous rentrions heureux et les pieds poussiéreux.

Maman dit toujours qu'ils étaient aussi contents de nous voir arriver que de nous voir repartir. C'est sûrement vrai. Voilà un an que ma grand-mère s'en est allée, le 26 novembre exactement. Ce jour-là nous avions chanté (enfin, surtout moi !) main dans la main "prendre un enfant par la main", et ça m'avait bouleversée. Je ne savais pas que ce serait notre dernier moment partagé, mais aujourd'hui je prends ça comme un joli cadeau.